[L-33] Réponse à Elisabeth, par Christian

Chère amie bonjour.

Je vous remercie d’avoir lu mes courriers et d’y avoir porté cette grande attention. Je vous remercie aussi pour les compliments qu’elle comporte. Vous me donnez vraiment envie de poursuivre ce passionnant débat qui concerne, vous l’avez compris, non seulement ma passion, mais aussi mon métier.

Tout d’abord, et à défaut de réponse précise à une de mes interrogations lancées sur ce blog, je vais tâcher d’être clair sur quelques points qui me semblent au fondement de ces recherches. (Désolé si tout n’est pas parfaitement rangé, cela prendrait plus de temps).

1 — Je ne suis pas du tout POUR quelque FORMATION OBLIGATOIRE que ce soit, ni QUELQUE DIPLÔME OBLIGATOIRE que ce soit, même émanant d’un ministère public ou d’un autre. Je peux dire au contraire que je suis FERMEMENT CONTRE ces procédés, du moins pour l’enseignement dans le secteur PRIVÉ. Ce n’est que mon avis, mais
voici comment je pourrais le justifier.

En 1989, le parlement français a voté une LOI D’ÉTAT le 10 juillet : « Article premier : Nul ne peut enseigner la danse contre rétribution ou faire usage du titre de Professeur de danse ou d’un titre équivalent s’il n’est muni […] du diplôme de Professeur de danse délivré par l’Etat ou… ». Fin d’article : « Le présent article s’applique aux danses classique, contemporaine et jazz. »

« Article deuxième : Un décret en Conseil d’Etat fixera, en tant que de besoin pour la protection des usagers, les conditions de diplôme exigées pour l’enseignement des autres formes de danses que celles visées à l’article 1et de la présente loi. » Ce qui veut dire qu’une épée de Damoclès pèse sur les têtes de tous les enseignants de danse de société "rétribués" depuis l’époque.

Ainsi, la France est devenue LA PREMIÈRE DÉMOCRATIE AU MONDE À EXIGER UN DIPLÔME D’ÉTAT POUR UN ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE DANS LE PRIVÉ ! SOUS PEINE D’AMENDE ET D’EMPRISONNEMENT ! Et notre D.E., dont de nombreux Français se sont alors enorgueillis (surtout ceux qui l’avaient mis en place), a échangé des équivalences avec ses correspondants CHINOIS et CUBAIN, il faut le savoir ! Magnifique référence ! Et quelle grossière erreur, sur le prétexte de protéger le public ! Cette époque est révolue !

Le ministère de la culture a reconnu ses erreurs et certains de ses inspecteurs aimeraient bien faire marche arrière car d’autres se sont alors couverts de honte. Mais c’est aujourd’hui le Parlement qui n’accepterait pas si vite de revoir une telle loi, sans ridiculiser encore plus ce ministère. Donc, il n’y a pas de risque de ce côté-là.

Exemple vécu et preuves : C’est Madame Stanlova, alors directrice d’un centre de formation professionnel à Paris, qui, la première, dès la rentrée de septembre 1989, brutalement court-circuitée par cette loi et par la mise en place des IFEDEM et CEFEDEM du ministère, qui a dû se défendre et aller en justice pour avoir le droit de
poursuivre ses activités. Elle a été défendue pas une personne que je connais bien aujourd’hui : Me Roland Lienhardt, avocat au barreau de Paris.

Ce dernier s’est alors rendu célèbre dans notre milieu, et au ministère de la culture (pour ceux qui ont bien voulu le lire) en 1998 avec son livre : « Cultivez-vous, il m’en restera toujours quelque chose ! » (Paris), dans lequel il dénonce près de 700 officiers du ministère de la culture de l’époque, entre autre de "pantouflage" et de prises illégales d’intérêts personnels (il faut savoir qu’aucun d’entre eux ne l’a jamais attaqué en justice ; chacun en fera la déduction qui s’impose). Vous pouvez aller le rencontrer à Paris en prenant rendez-vous. J’ai évidemment son livre.

Tout ceci pour dire que, non seulement je suis CONTRE toute forme obligatoire d’enseignement ou de diplôme, mais que je suis tout à fait prêt à ARGUMENTER dans ce sens, en relevant toutes les erreurs auxquelles la loi de 1989 a conduit. J’ai déjà mené de longues argumentations, autant contre cette loi que contre la danse sportive,
dans ma thèse dont le sujet était, je me permets de vous le rappeler, : « Danse : Sport, Culture ou Education ? Le problème de l’enseignement des danses de société en France » (1999, Paris VIII).

2 — Non seulement je suis contre, mais je suis donc CONVAINCU qu’il n’y a AUCUN DANGER à ce que le ministère de la culture refasse certaines des erreurs qu’il a faites par le passé.

3 — Autre raison : Le ministère n’interviendra pas, particulièrement pour des formes de danse DONT IL N’A AUCUNE CONNAISSANCE, dont il ignore tout : la technique, l’histoire, la culture, la musique, la pédagogie, l’histoire du métier, et j’en passe. Il compte sur vous, sur moi, sur Christophe Appril, et sur toutes les bonnes volontés pour faire l’étude dont il devrait se charger. Sauf à dire que, si les enseignants de danse de bal souhaitent une reconnaissance, ou des protections, il leur appartient de se regrouper, de se compter et de se faire connaître. S’ils sont assez nombreux, et cohérents, et insistants, cet organe public leur sera peut-être redevable, au minimum, d’une écoute attentive.

4 — Il faut bien séparer la réflexion sur L’ENSEIGNEMENT (rétribué) qui est toujours libre et le restera je pense, et la COMPÉTITION (vous parlez de compétition de tango argentin). Personne n’a plus le droit, depuis la création de la délégation de pouvoir le 8 août 1989 par Roger Bambuck alors ministre des Sports, d’organiser « un championnat de France » quelle que soit la danse. Seul la fédération délégataire, et seulement son comité de danse sportive (et pas les autres comités de la F.F.D.) sont autorisés à cela. Sous peine d’attaque en justice, mais surtout de fermeture des voies européennes et internationales des championnats qui ne reconnaissent que les membres réguliers et les entraîneurs déposés de la F.F.D.

C’est dire que tout groupement autre que la F.F.D. n’a aucun pouvoir d’organiser quoi que ce soit, sauf à rester confidentiel et sans aucun espoir de poursuivre à plus haut niveau.

Donc toutes ces personnes qui font du sport n’ont aucune voix au chapitre concernant l’enseignement. La F.F.D., par exemple, ne peut mettre en place qu’un DIPLÔME FÉDÉRAL. Mais, elle ne l’a toujours pas fait depuis 19 ans, pour des questions de guerres intestines aussi qui perdurent. Je ne pense pas qu’elle le fasse jamais. Je suis un bon ami de sa présidente actuelle, Madame Noune Marty, que j’ai eu au téléphone dernièrement, et qui, sauf le respect et l’amitié que je lui dois, m’a quand même dit « qu’il se passait des choses en ce moment, mais qu’elle n’y comprenait rien ! » (Sic)

5 — Il faut savoir que, depuis plus de 50 ans, de nombreux groupements ont tenté, par toutes sortes de moyens, et de ministères, de mettre en place soit une formation obligatoire, soit un diplôme obligatoire, certains un B.E. (Sports), ou un D.E. (Culture). TOUS ONT TOTALEMENT ÉCHOUÉ. Rien n’a jamais marché ! Surtout parce qu’ils visaient un diplôme OBLIGATOIRE, donc HÉGÉMONIQUE. Souvent, leur but était plus d’empêcher leurs collègues de travailler que de faire valoir leur métier. Il ne faut
ni tomber dans cette erreur, ni la craindre. Statistiquement, cela N’A JAMAIS MARCHÉ, et une énergie immense a été perdue.

6 — Suite à mon travail, je serai éventuellement POUR un cursus de formation généraliste pour tous les éléments qui constituent les bases de la danse de bal à deux. Je serais POUR un cursus RECONNU (mais NON OBLIGATOIRE), ET VÉRIFIÉ À PARTIR D’ÉLÉMENTS DE FOND, DE BASE : les éléments des facteurs communs à toutes les danses : l’espace, le temps, la nuance, l’accentuation ; dont les rotations, les contacts, la souplesse, les vitesses… ; et surtout tout ce qui est spécifique aux danses de bal et de couple : le contact, l’énergie de couple, le flux, le déplacement à deux, le non-agrippement, les positions relatives, l’écoute, l’interaction… Enfin, l’expression et la créativité, sans oublier le PLAISIR, la TECHNIQUE n’étant jamais une fin en soi, mais seulement un MOYEN parmi tant d’autres. Et j’en passe ! Je me bats pour une véritable ÉDUCATION EN DANSE DE COUPLE, avant toute spécialisation dans un style. C’est la « philosophie » que je tente de développer dans mon Institut, où je rêverais que tous les danseurs se retrouvent (ce qui fonctionne déjà très bien, même avec le tango argentin…).

7 — Je suis POUR une étude nationale, un recensement (qui incomberait à un ministère, mais pourquoi pas à une structure extérieure, neutre et fondamentalement généraliste) du métier de PROFESSEUR DE DANSE DE SOCIÉTÉ (ou de bal, comme vous voudrez). Que nous puissions prouver que notre métier est un VRAI métier = qu’on peut en vivre honorablement, que nous sommes nombreux, que nous avons beaucoup d’élèves, et des passionnés, et de tous horizons. En vue de demander la CERTIFICATION de ce métier à l’organisme correspondant : la C.N.C.P (Centre National de la Certification Professionnelle), qui ne se mettra pas en mouvement pour quelques professeurs de zouk, de country ou de mazurka, EN AUCUN CAS (il faut être logique). A la fois, il n’y a là AUCUN RISQUE, et, en même temps, il est inutile de travailler hors leur cadre de fonctionnement. C’est peine perdue !

J’en profite pour répéter, en tant qu’organisme reconnu par le ministère de la culture, que nous avons déjà monté un dossier de demande de certification qui avance. Il ne faudra pas être surpris que nous avancions encore et que nous aboutissions, éventuellement, si personne ne se décide à entrer dans une réflexion plus étendue, plus calme, plus professionnelle, plus tolérante ; et, peut-être, à nous rejoindre.

8 — Je n’ai AUCUNE INQUIÉTUDE concernant le lien éventuel entre ce type d’enquête et le MINISTÈRE DES IMPÔTS. Cela fait déjà des années que je travaille de façon honnête et transparente, et que je ne crains plus personne dans ce domaine. Et nombreux sont mes collègues qui fonctionnent de la même façon. Je vous conseille de
ne pas tout mélanger, et de vous débarrasser de certaines vieilles angoisses bien françaises, mais qui ne devraient plus avoir cours aujourd’hui.

9 — Pour terminer, je pense qu’il faut SE poser la question, et LA poser (ce que j’ai fait mais sans réponse encore) au ministère de la culture, pour savoir pourquoi, à trois années d’intervalle, des inspecteurs différents de ce ministère ont commandité la création d’une fédération, en lançant deux groupements sur le même genre
de travail, et sans en avertir ni l’un ni l’autre ? Cela nous éviterait peut-être de perdre notre temps à pérorer dans le vide… Ne pensez-vous pas que c’est peut-être la première question à se poser ?

Avant de répondre à Pierre, ce que vous pourrez lire en suivant et où vous trouverez peut-être des éléments qui concernent votre mail, sachez que je ne fais pas du tout le projet que le travail de cadrage que je tente de faire dans les danses de société aboutisse à une modélisation. Certainement pas ! Par contre, si mon travail et mes réflexions peuvent servir de piste d’évolution dans la reconnaissance de nos passions (chorégraphique comme pédagogique), j’en serais très fier, à condition que chacun y prenne ce qui lui correspond et continue à développer sa spécificité, sans perdre un respectueux dialogue avec tous, et sans esprit de rivalité.

Je vous adresse mes très amicales salutations.

Christian Dubar, dimanche 13 avril
|