[L-34] Réponse à Pierre, par Christian

Bonjour Pierre,

Et merci infiniment d’avoirs pris en considération mes écrits sur ce blog. J’y suis très sensible

Je viens de répondre à Elysabeth, cad que je ne vais pas reprendre certaines choses que tu pourras lire plus bas.

Pour toi, je vais tâcher de m’exprimer clairement sur le fond du travail.

1 — Je te remercie de me préciser que, sur ce blog, vous ne travaillez que sur ce que vous connaissez bien ; le tango argentin. C’est une excellente précision, qui montre toute votre modestie. Et j’approuve totalement.

2 — J’ai bien connu Ernesto Rondo, chanteur argentin exilé à Paris, que j’ai fait venir à Toulouse dès novembre 1990 pour un spectacle avec Annibal Pannunzio, Maguy Dany et l’orchestre de tango d’Olivier . Ernesto est décédé depuis. Chaque fois qu’il m’écrivait, ses enveloppes, que j’ai gardées comme des preuves touchantes, étaient toutes tamponnées à l’encre luminescente : « EL TANGO ES CULTURA ARGENTINA, ERNESTO RONDO ».

Pour dire que je suis bien convaincu de ce que tu me dis, et je vois très bien ce que veulent dire les passionnés du tango argentin, que je respecte profondément.

Pour autant, il me semble que ni la modestie, ni la passion, ne doivent leur faire oublier que leur passion est à égalité avec d’autres passions de danses du bal.

Dans un journal Dansons Magazine consacré au tango, j’avais intitulé le premier article : « Le tango, une philosophie de vie… » Avant d’interviewer des tas de danseurs et penseurs du tango de l’époque (Miguel Angel Arancibia, Henri Vidiella, Rodolfo Dinzel, Coco Diaz, Helio Torres, Michèle Rust, Remi Hess et sa fille Charlotte Hess, Catherine Néri, Annibal Pannunzio, Maguy Dany, etc.) (10/1993).

3 — Qui pourrait dire que la salsa n’est pas un phénomène de société aussi important que le tango ? C’est aussi une culture, comme le rock, le hip-hop, avec une ou des danses, des rythmes, des dynamismes, des looks, des tenues, des textes, des poésies, des revendications, mais surtout une HISTOIRE.

Qui pourrait dire que la valse n’est pas une culture à part entière ? Avec une impressionnante histoire à travers les siècles et le monde. Et des tas de rejetons. Qui oserait dire, sans prendre le risque d’être ridicule, et de blesser les passionnés correspondants, que le rock ou mieux, le lindy-hop ACTUEL n’est pas une culture ? Dois-je prendre d’autres exemples. Voyons la fameuse DANSE COUNTRY qui affole certains aujourd’hui. Et l’autre qui me dit que le zouk est super-répandu en France. Et l’autre qui est
totalement convaincu que la CULTURE DU FORO (Culture populaire de danse à deux du nord du Brésil) sera la prochaine vague de danse en Europe !

Toutes ces danses sont aussi capables d’échanges culturels avec tous les pays du monde : les valses d’Amérique du Sud (péruviennes, brésiliennes, colombiennes), la valse viennoise, le tango suédois, la rumba cubaine, le charleston américain, la samba brésilienne, la polka, les danses irlandaises, etc.

4 — Je te remercie de témoigner du fait que la formation que nous proposons dans mon institut est généraliste et qu’elle peut rendre service à tous les danseurs, dont les danseurs de tango argentin. C’est exactement ce que je cherche à proposer : des informations à tous les danseurs, et surtout, dans mon cas, à tous les enseignants de danse de couple. Et tu dois savoir que je me suis beaucoup intéressé, par exemple avec Plume Fontaine, Christine Caminade, Laurent de Chanterac, à la nouvelle « pédagogie » du tango. Et j’ai déjà transféré beaucoup de mes découvertes, grâce à quelques grands maîtres du tango, dans l’apprentissage des autres danses de couple. Il n’y a qu’eux, ceux qui sont uniquement concentrés sur le tango argentin, qui ne le savent pas, souvent parce que, justement, il ne pense qu’au tango argentin, et qu’ils ont oublié les autres danses.

5 — Je suis tout à fait d’accord avec toi, et je reprends : je ne suis pas d’accord pour une enquête biaisée, quelle qu’elle soit, aboutissent à une formation codifiée, et surtout obligatoire. Je me battrai contre ça. Autant je crois profondément que nous avons un patrimoine commun, et même des réflexions identiques, autant je reste persuadé qu’il faut préserver la LIBERTÉ de chacun à choisir le moyen de PRENDRE SON PLAISIR EN COUPLE, AVEC LA MUSIQUE.

6 — Et si je vais au bout de ma pensée, en toute franchise, au risque de m’attirer des ennemis : je pense que, si l’on veut APPRENDRE à un Français ou une Française à SAVOIR DANSER au bal, la plus grosse erreur est de lui apprendre le rock, OU (pire) le « jive » ; OU la valse, OU (pire) la valse « musette » ; OU le tango, OU (pire) le tango « argentin » ; OU la salsa, OU (pire) la salsa « portoricaine », etc. Car il faut lui apprendre, à mon humble avis, et d’abord : la valse ET le rock ET le tango ET la salsa… Etc.

Pour le reste, on touche au STYLE, donc quelque chose qui est très profond, à l’intimité de la personne, donc à sa liberté ; et, alors qu’on croit lui apprendre à danser avec tous, on réduit son champ et le risque de clonage est alors immense. Je signale en passant que ce fut la raison de la défection des écoles de danses et la motivation première, à l’époque, de la création d’associations « libres ».

C’est un principe de RESPECT DE LA PERSONNE HUMAINE. Je ne danse pas comme un autre, je ne veux pas qu’on m’impose ma façon de danser (ce serait RIDICULE), tout en étant persuadé que nous avons des milliers de choses à nous échanger, sur les danses de société, et aussi sur son enseignement.

Je te remercie encore, cher Pierre, de m’avoir lu, et j’attends tes réactions qui, je n’en doute pas, seront très fines.

Christian Dubar
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