79. [L-44] Terminologie et définition, par Christian et réponses de Benoit

Note: ce message comporte un certain nombre de questions adressées aux organisateurs du site. Compte tenu de l'intérêt de ces questions, les réponses ont été inclues dans le texte bien qu'elles aient fait l'objet d'un message spécifique. La contribution ci-dessous intègre les questions de Christian et les réponses de Benoit en violet.

Chers amis bonjour,

Au risque de passer pour quelqu’un qui ne comprend rien, je vais continuer à poser certaines questions qui me semblent mériter des éclaircissements. Et qui n’en obtiennent pas encore.

Le travail sur ce blog faisant clairement référence à un ordre de mission du ministère de la culture, je pense que le premier travail à faire est LA DÉFINITION DE LA TERMINOLOGIE, au risque de perdre son temps, et surtout de ne pas se comprendre les uns et les autres.

Je suis persuadé qu’un terme est tout aussi valable qu’un autre pour définir un concept. Par contre, il est important qu’il soit défini clairement et que chacun s’y tienne dans son discours afin de ne pas court-circuiter les échanges.

Des exemples pris au hasard :

A — on peut lire sur la page d’accueil présentant le travail sur ce blog les termes suivants : « l’enseignement des DANSES POPULAIRES ET le tango argentin » ? Qu’appelez-vous les DANSES POPULAIRES ? Le TANGO ARGENTIN n’est-il pas une danse populaire ?

Réponse: La phrase complète est la suivante: "le Ministère de la Culture s'interroge sur la possibilité de réglementer l'enseignement des danses populaires et le tango argentin est concerné par cette réflexion."

La conjonction ET relie le fait que "le ministère de la Culture s'interroge sur la possibilité...populaire" et le fait que "le tango argentin est concerné par cette réflexion". En anglais, j'aurais utilisé la conjonction "therefore" (donc), le mot "ET" est ici pris en raccourci de "ET PAR CONSEQUENT".

Donc la phrase complète de la page d'accueil du site exprime que le tango argentin est une danse populaire. L'expression "Danses populaires" recouvre les "danses régionales ou nationales de France et du monde", le choix de cette expression est sans doute malheureux, je la changerai dans une prochaine version, le tango argentin "tombant" dans la catégorie des danses du monde si l'on se fie à la liste des danses concernées par l'étude comme l'indique les questionnaires envoyés par l'OPPIC.

B — Plus loin : « L’enseignement des DANSES DE SOCIÉTÉ, TRADITIONNELLES ou dites DU MONDE n’est pas réglementé ». Que désigne pour vous l’appellation DANSES DE SOCIÉTÉ, DANSES TRADITIONNELLES, DANSES DU MONDE ? Est-ce que ce sont des appellations équivalentes ou des concepts différents ?

Réponse: Ce paragraphe exprime simplement le fait qu'il n'y a pas de réglementation professionnelle pour l'enseignement des danses hormis le classique, le modern jazz et le contemporain.

J'ai utilisé l'expression "danses de société" en synonyme de "danse de salon" (le corpus de celles qui sont enseignées dans les écoles de danse: valse, be-bop, salsa, tango européen etc...), "danses traditionnelles" en référence aux "danses régionales ou nationales de France" citées par la lettre du ministère, d'autres utilisent l'expression "danses folkloriques". L'expression "danses du monde" que j'ai utilisée reprends les termes du ministère. J'ai restreint le champ des "danses non réglementées" à ces trois catégories parce que d'une part elles recouvrent des danses pratiquées par ailleurs par nombre de tangueros qui viennent au tango argentin à partir des danses de salon et/ou de la salsa et d'autre part, j'ai repéré au cours de mes lectures que la transmission était un enjeu semblable dans les danses "traditionnelles" et dans le tango argentin (problèmes de légitimité des enseignants / problèmes du fonctionnement en association).

C — Plus loin : « Le développement du marché des DANSES DE SALON et des danses "du monde" (salsa, hip-hop) ainsi que la survie des danses traditionnelles ». Mêmes questions pour DANSES DE SALON. La salsa n’est-elle pas pour vous une danse de salon (alors que son origine, le son cubain, était bien dite, par les Cubains eux-mêmes, comme étant une danse de salon) ?

Réponse: Je n'ai pas de grande compétence sur l'histoire de la salsa et je ne la danse pas non plus même si j'ai eu essayé de m'y mettre... Par contre, au-delà des différences "cubaine", "portoricaine" et une 3ème branche, j'ai retenu des informations qui m'avaient été délivrées lors de mon apprentissage de cette danse, que son origine et son nom proviennent de la communauté latino de New York à la fin des années 50. Quand je vois danser des salséros je ne peux m'empécher de faire le lien avec le rock'n roll revu et corrigé à la sauce latine (il me semble aussi avoir entendu/vu l'expression "latin rock" sur les forums nord américains pour désigner la musique de la salsa). Mes connaissances s'arrêtent là. Par contre globalement, dans mon environnement, je constate que l'enseignement de la salsa s'effectue (dans ma région Aix-Marseille) en majorité par des profs indépendants (free-lance) qui tournent dans les lieux de danses (écoles de danse, MJC, boites de nuit etc..) pour donner leurs cours, rappelant en cela le mode d'organisation des cours du tango argentin que je connais à Buenos Aires: le mode de fonctionnement associatif caractéristique du tango argentin en France n'existe pas dans la Salsa en France ni dans le tango en Argentine (sauf exception et erreur de ma part).

Pour en revenir à votre question, en fait je ne me pose pas de question par rapport à la salsa: c'est à la fois une danse du monde car elle est visiblement pas d'origine française et la France n'a pas eu sur la salsa l'influence qu'elle a eu sur le tango dans les années 1910, et une danse de salon puisqu'elle est enseignée en partie dans ce contexte. Je me permettrai d'ajouter une impression personnelle: l'image "danse de salon" est associée dans mon esprit à un catalogue de danses que les pratiquants parcourent une danse après l'autre dans les soirées "toutes danses", alors que le monde du tango argentin que je connais se concentre sur les 3 danses liées au tango : le tango, la valse argentine et la milonga, parcourues quart d'heure par quart d'heure. De même le monde de la salsa que je connais, même sans la danser, se concentre sur un petit nombre de formes musicales assez proches (salsa, bachata, mambo plus d'autres que j'oublie certainement).

D — Dans une discussion privée par mail avec C. Apprill, je viens d’apprendre que l’ordre de mission en question avait donné « des lignes générales ». Dans le détail, cet ordre de mission exclurait « les DANSES DE SOCIÉTÉ et le HIP-HOP », tout en englobant « tout le reste : DANSES INDIENNES, AFRICAINES, ORIENTALES, FLAMENCA SALSA, TANGO ARGENTIN, COUNTRY ET CAPOIERA »

Réponse: Voici une information qui est importante et que je ne connaissais pas: la certification ne touchera pas l'enseignement des danses de société (danses de salon ?). Bigre, là il y a un problème: le ministère de la culture cherche à introduire une certification sur un jeu de danses qui sont epsilonnesques par rapport au marché des danses de société. Une information comme celle-ci, si elle est confirmée, est propre à reveiller des soupçons sérieux de prise en main des danses "non réglementées, non salon, non hip-hop" par un secteur d'activité qui ne serait pas lui-même soumis à une quelconque règlementation diplomante (je pense ici aux écoles de danse).

Le tango, après ne plus être une danse POPULAIRE, n’est-il plus une danse de société, ni une danse de salon ? Veut-on "l’élever" aux rangs des "belles danses", comme le classique ? Alors attention à la sévère codification !

C’est bien la première fois que j’entends parler de danses flamenca salsa, (à moins qu’il ne manque une virgule, pour dire combien la terminologie et une certaine précision sont capitales).

Et tout cas, si c’est le ministère qui a établi ces désignations, il montre là sa totale incompétence, en mettant au même niveau les danses orientales et la salsa, les danses africaines et le tango, les danses country et la capoiera. J’ai vraiment cru rêver en lisant cela !

E — J’ai, dans le même temps, appris que l’ordre de mission concernait aussi la salsa.

Depuis plus d’un mois que je parle de cette étude avec toutes sortes de collègues de part la France, personne n’est au courant, sauf le stagiaire qui a eu la gentillesse de me faire découvrir ce blog. Évidemment, cela fait que je me pose des questions.

Réponse: Je n'émettrai pas de commentaire sur le fonctionnement de l'enquête ou du ministère de la culture, compte tenu de la difficulté d'appréhender un domaine touchant une telle diversité. Par contre, si le milieu du tango argentin a réagi de cette manière (mise en place du site, reflexion sur le mode de représentation du monde du tango notamment), c'est sans doute parce qu'il est maillé par un réseau associatif, ce qui fait sa force (capacité à réagir) et sa faiblesse (difficulté à s'organiser) mais en tous cas affiche en évidence un sens collectif, ce qui n'est pas le cas dans la salsa par exemple, pour ce que j'en vois, ni peut-être dans les structures commerciales ou le reflexe individualiste est synonyme de survie.

F — Dans la présentation de ce blog, j’ai aussi lu : « Le tango argentin est la première danse avec abrazo (enlacement). » Désolé, je ne suis pas d’accord, a priori.

À ma connaissance, cette position de couple fermé existe au moins depuis la valse (qui date de la fin du XVIIIe siècle et non de 1830), à moins que vous ne fassiez une différence "stylistique" très fine entre différentes façons de se tenir en couple fermé, ce qui nécessiterait une définition relative, me semble-t-il, si vous souhaitez éviter d’inutiles confusions.

Réponse: J'ai déjà eu cette question, je tiens cette expression d'un des livres de Dinzel (de mémoire, j'essaierai de retrouver la page exacte). J'ai mis du temps à l'accepter également, mais au delà de la différence de style, je maintiens ma réponse à Léo: "Le tango se danse dans les bras alors que la valse se danse avec les bras" (le mot avec est peut-être un peu fort).

Je ne danse pas la valse mais je la regarde danser avec des yeux de mécanicien du mouvement, je vois également des valseurs aborder le tango et on voit nettement la différence lorsqu'ils dansent la valse argentine. Je suis aussi capable de ressentir chez ma partenaire si elle a eu dansé la valse européenne avant de danser le tango (par la relation au sol notamment). Le mot abrazo est très fort dans le tango, et ce n'est pas simplement le fait d'être plus ou moins proche dans le couple,

Vous avez donc raison sur le fait que le couple fermé existe depuis la valse (j'ai indiqué 1830 d'après une source que j'ai oublié de noter, les années 1780 sont citées par Wikipedia comme la période de reconnaissance de la valse à Vienne ,Autriche, "reconnaissance = devenir à la mode", je corrigerai la page d'accueil dans une prochaine version), mais cette notion est différente de l'abrazo qui dans le tango est un moteur de cette danse (il faut à peu près 15 pages pour démontrer cette dernière affirmation, j'en ferai grâce aux lecteurs).

G — Je lis aussi : « c’est également la seule [danse] qui n’ait pas de séquence de pas à respecter. » Désolé, mais je ne suis pas d’accord. Non plus.

Le fox-trot est une danse sans séquence de pas à respecter, ainsi que le quick-step, comme le paso-doble et d’autres. Dans quel groupe classez-vous ces danses ?

Réponse: J'ai utilisé l'expression "séquence de pas " pour désigner la notion de "forme" dansée par analogie à la "forme musicale". L'exemple typique de la séquence de pas sont, à mes yeux, les passes de la salsa (portoricaine ?): elles ont un nom ou un numéro, chacune se déroule selon un ordre bien précis où chacun compte ses pas, quand on commence une passe on sait comment ça va se terminer etc.. Je n'ai pas d'info sur les autres danses que vous citez et je les vois rarement danser. La musique de la milonga et celle de la valse ont des formes musicales, pas celle du tango (ref.: « La musique de tango argentin expliquée aux danseurs et aux musiciens. Résumé des conférences données par l’Orquestra Imperial de Buenos Aires. », Pierre Canals, mars 2007 (Plaisir Tango, Nancy) 30p., ISBN 978-2-95-288-040-4). On pourrait en déduire des formes dansées, l'expérience montre qu'il n'en est rien, la couleur tango a pris le dessus par rapport aux formes originelles de ces danses.

A chaque instant, le danseur et a fortiori la danseuse de tango argentin ne savent pas ce qui va suivre dans la seconde suivante: il n'y a aucune règle géométrique d'enchainement de pas à respecter (un pas désigne ici le déplacement d'un pied), il n'y a aucune obligation de décalquer la musique : un pas peut prendre 1/2, un, deux trois, quatre temps de la musique etc... Cette liberté est le tango argentin, tout le reste, le tour, la salida, les huits, les figures plus ou moins complexes ou à la mode (colgadas, volcadas etc..) les finesses d'attaque sur les temps de la mesure sont des outils d'aide à la maitrise du tango.

En résumé: chaque couple de danseurs de tango argentin est un chorégraphe [ cf. Dinzel. "It is up to the performer to determine the choreographic arrangement with reference to muscial time, something that may and must be changed, varied depending on the subjective interpretation of the musical stimulus" que je traduirais par "c'est au(x) danseur(s) de déterminer leur arrangement chorégraphique dans l'instant musical, arrangement qui peut et doit changer en fonction de l'interprétation subjective de la musique perçue", page 98 in « Tango, an anxious quest for freedom », English Translation, 2000 (Abrazos, Stuttgart), 115p., ISBN 3-00-006-119-3].

Si vous pensez que toute cette description s'applique au fox-trot, au quick-step au paso-doble, et que vous arriviez à m'en convaincre, alors je changerai ma phrase.

H — Puisque le ministère semble s’intéresser aux danses qui sont à la mode en ce moment, pourquoi l’on ne voit nulle part citée la question du lindy-hop, grand-père du rock ? C’est aussi une question à poser : où le classez-vous ?

Réponse: Ce n'est pas l'objet du site que de classer les danses, nous ne représentons pas le ministère de la Culture ni l'enquête de l'APPIC en cours depuis le début janvier 2008. Ce site a simplement pour objectif de mettre à disposition des danseurs de tango argentin les informations/reflexions/idées que tout un chacun peut avoir dans son coin, et d'ailleurs vous êtes un des principaux contributeurs sur des sujets que nous n'avons pas l'habitude de traiter. Nous ne représentons pas un courant particulier du tango argentin, même si nous avons nos idées, et nous sommes très heureux de voir que ce projet de mise en commun d'information et de support de réflexion commence à jouer son rôle.

Voilà quelques exemples de problèmes de terminologie qui, mon humble avis, privent totalement les personnes qui s’intéressent à votre travail, de comprendre intelligemment, de suivre correctement les échanges, et donc de répondre en connaissance de cause à vos interrogations. Je trouve cela bien dommage.

J’espère, chers amis, que vous ne trouverez aucune méchanceté dans mes propos, mais seulement un grand intérêt pour ce large débat, enfin abordé. Car non seulement il correspond à ma passion, comme la vôtre pour le tango argentin, mais que cela concerne aussi mon métier de façon encore plus profonde que vous ne pouvez, peut-
être, l’imaginer.

Je vous remercie encore de me lire, et je reste très attentif à vos réactions à tous.

Christian Dubar
(Institut de formation en danses de société de Toulouse)
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