[L-21] Lettre ouverte, par Claire

Bonjour à tous,

Je suis avec intérêt l'évolution des échanges sur le Blog et attend impatiemment de pouvoir lire la denrière SALIDA qui doit aussi traiter du sujet qui nous préoccuppe.
Et à ce propos le sujet qui me préocuppe, c'est de trouver l'angle de défense ou d'attaque comme vous préférez ! en cela je remercie Pierre de sa contribution éclairée au débat car il a le premier énoncé une piste !
Nous avons échangé beaucoup d'arguments contre l'idée d'un diplôme pour l'enseignement du tango, nous avons spécifié tant bien que mal les originalités de cette danse, rappelé qu'il s'agit d'une culture à part entière avec diverses expressions artistiques, souligné son caractère populaire, et comment elle s'est véhiculé de génération en génération, et enfin nous avons insisté sur le mode de développement du tango en France qui a eu lieu grace aux associations, bénévoles, et passionnés qui ont permis de faire croitre le nombre d'initiés..; etc..

1ère partie : soyons optimistes ! on peut faire quelque chose ?!

Rappelons que le préalable à tout ce débat, c'est la question de l'ENQUETE lancée ou commanditée ou soutenue par le Ministère de la Culture. Une équipe de chercheurs, sociologues, a été choisie pour rendre un état des lieux de l'enseignement des danses en France (Tango, flamenco, salsa, danse orientale..). Le questionnaire qu'ils ont mis au point n'est pas un questionnaire qui permet de rendre compte des réalités de terrain que connaissent les associations de tango ! j'ai déjà exprimé une critique de la méthodologie employée : questions fermées, questions qui ne trouvent aucun écho si l'on n'est pas Ecole de danse, questions orientées sur l'enseignement uniquement ..
Si l'on veut rester objectif dans cet histoire, sans vouloir diaboliser ce travail d'enquête, il faut reconnaitre que nous ne pouvons qu'être desservi par les résultats (si fiabilité il y a, vu le peu de réponses de la part des assos de tango !!)
Or ce n'est pas une enquête anodine menée par des étudiants dans le cadre d'une fin de cursus, c'est bien une enquête qui a un caractère national, officiel, et destinée à servir de référence et de base à une décision ministérielle.

C'est pourquoi je me pose la question : sans aucunement nuire au travail des chercheurs que nous laissons oeuvrer comme ils l'entendent, puisqu'ils doivent rester neutres et concentrés sur leur mission, ne pourrait-on produire nous-mêmes un rapport et état des lieux sur le tango en France : associations (croissance, changements, avenir), fonctionnement, activités, problèmes rencontrés pour la diffusion de cette culture, difficultés de fonctionnement, résultats, etc.. et demander au Ministère de la Culture un soutien à la diffusion et à la transmission de cette culture (plutôt qu'un diplome pour l'enseignement de la danse) en faisant entendre une voix pluri-artistique (musique, danse, cinema..) !!
Bref prenons les devants et le contre-pied, puisque nous n'avons rien à perdre dans l'histoire !!

2 ème partie : soyons pessimistes ! attendre et voir venir !
Si rien ne se passe je vois les choses se gâter :

A priori derrière cette enquête se cache le projet du Ministère d'instaurer une formation diplomante pour l'enseignement du Tango argentin : faut-il accepter ce détournement total d'une culture populaire et faire rentrer de force l'enseignement du tango dans les cadres académiques et stéréotypés qui sont le propre d'un parcours de formation unique pour tous?
1) certaines associations se sont engouffrés dans ce vide et manifestent leur opportunisme en proposant avant toute obligation, ou règlementation, des semaines de formation pour formateurs ! évidemment qu'en voulant isoler et commercialiser le concept de "formation de formateurs", elles donnent des arguments à l'administration, sans se poser la question du besoin, de la nécessité et du sens de leurs initiatives !! La mise en place d'un diplome ne peut qu' accentuer cette course à l'ouverture de formations, sachant que les besoins en Profs ne sont pas du côté de nouveaux profs (dans le sens tout frais sortis de l'oeuf, vu que leur nombre risque un jour de dépasser le nombre d'élèves !!) mais d'enseignants de longue date, danseurs professionnels, pédagogues ayant une histoire avec le tango, capables de faire évoluer le niveau des danseurs en France. Que le besoin est aussi du côté de l'évolution de la législation du travail, et de la moralisation des tarifs horaires dans l'enseignement du tango : si ces tarifs devenaient plus raisonnables, cela mettrait un frein à beaucoup de "vocations" dans le paysage tango français.
Dans cette course au diplome, à la formation, c'est un nouveau commerce qui ouvre, et les associations vont y laisser de leur cohérence, de leur autonomie, de leur communautarisme, de leur enthousiasme, de leur entente, de leur diversité !

2 ) derrière la question du diplôme se cache toute la perversité de la règlementation : moins de liberté dans notre vie, moins de responsabilisation, plus de contrôle, plus de divisions entre les gens, et une mise sous tutelle .. et ne serait-ce que pour cet aspect , on a envie de résister !!

3) derrière la règlementation du tango argentin, il y a la non-reconnaissance du tango en tant que culture (musique, poèsie, littérature, cinéma, danse..), la non-reconnaissance de ses spécifités dans la transmission depuis son origine jusqu'à nos jours, la non-reconnaissance de sa paternité et de ses prolongements outre-atlantique (le Rio de La Plata et non la France), la non-reconnaissance de son mode de développement qui est le réseau associatif, la non-reconnaissance de sa diversité (danse de bal, danse de scène, liée à la musique), la non-reconnaissance de son rôle de lien social et en cela, l'histoire du diplôme qui focalise le débat sur la danse, reflète bien l'état de nos sociétés occidentales : le tango, une discipline de danse, un loisir, objet de consommation, réduit à une expression simple, quantifiable, règlementable, commercialisable, que l'on tire et pousse pour qu'il entre dans la spirale infernale de l'économie libérale ! nous y perdrons le Tango et nous serons encore plus nombreux à aller le chercher à Buenos Aires, sans illusion toutefois sur son devenir là-bas !

Claire PROUHET
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