89. [L-53] Réponse à Christian, par Pierre

Bonjour Christian,

Merci de tes interventions détaillées permettant de clarifier le débat. Je voudrais apporter quelques précisions concernant notre échange prédédent.

*1- Culture* : ce n'est pas parce que le tango est une culture que je dénie aux autres formes de danse cette appellation... Je n'ai pris que quelques exemples non exhaustifs, juste pour illustrer mon propos (danses anciennes avec recherches historiques, salsa etc....) et pour beaucoup de ces activités la danse ne représente que la partie émergée
de la culture attachée à cette activité.

Je ne pense pas d'ailleurs, que chacune des danses concernées par l'étude menée par le ministère de la Culture, se sentiraient représentées dans une fédération unique, la problématique étant différente pour chacune.

*2 - _caractère biaisé_* de l'étude commanditée par le ministère de la Culture.

2-1 _choix de l'échantillon_ : comme on dit chez les statisticiens « /Il n'est pas nécessaire de manger le boeuf entier pour savoir qu'il est coriace ». /Certes il n'est pas nécessaire d'interroger toute la population pour se faire une idée représentative d'une opinion ou d'une idée représentative d'une question. Cependant, pourquoi, alors que tu avais déjà travaillé ces questions, ton institut n'a-t-il pas été interrogé ? De même beaucoup d'associations de tango ont été ignorées. Pourquoi ? s'agit-il d'un tirage aléatoire d' un échantillon ? si oui, suivant quelles règles statistiques l'échantillon a-t-il été constitué ?

Mais je vois que Christophe Apprill a rectifié le tir en écoutant tes suggestions et en intégrant ton fichier....

2-2 _choix des questions_ : tiré d'un post du forum du temps du tango

Vous avez dit : enquête commandée par le Ministère de la Culture ? Dans ce cas on aurait pu s'attendre à des question du genre :
" quelle part faites vous dans vos cours à la culture argentine (apprentissage de la langue, des coutumes, recherche sur les costumes, l'influence du folklore dans les figures ....
Quelle importance attachez vous à la musique, travaillez-vous sur des musiques d'orchestre contemporains ou sur des enregistrements anciens ? Quels sont les modes pédagogiques employés pour transmettre les connaissances (cours magistral, mise en pratique par petit groupe, atelier de recherche ?) Quel est le rôle des danseurs expérimentés par rapport aux novices etc....etc.... »

En effet, les problèmatiques sont très différentes pour les pratiquant de danse traditionnelle qui ont une sainte horreur de la musique en boite, et qui ne jurent le plus souvent que par la musique vivante et des pratiquants de danse sportive qui préfèrent une musique étalonnée avec des rythmes correspondant à des normes, et qui pour des raisons
pratiques, préféreront travailler sur des musiques enregistrées.... Et que penser de ce questionnaire pour des danseurs de capoeira qui sont alternativement danseurs et musiciens et qui souvent eux aussi font l'apprentissage de la langue liée à leur activité....

Aucune question à caractère culturel pour toutes ces formes de danse, seulement des question à caractère fiscal....

Je suis heureux de constater que Christophe Apprill se soit inspiré du forum du temps du tango, puisque dans le deuxième questionnaire qu'il vient d'envoyer il a rectifié le tir et propose enfin des questions culturelles beaucoup plus pertinentes ....

2-3 _pertinence des réponses_ : On sait très bien que dans les enquêtes sur les pratiques sexuelles (Christophe Apprill y faisait référence dans La Salida N°58), les réponses sont souvent surévaluées, alors que dans les enquêtes fiscales, c'est plutôt l'inverse !!! Tout institut de sondage effectue des corrections suivant le type de questions et de réponses apportées..... Quels types d'ajustements seront faits sur ses réponses alors que beaucoup des sondés ont ignoré ces questions ?

2-4 _indépendance des sondeurs_ : quand on veut faire une enquête neutre, on a deux possibilités : soit confier l'enquête à des personnes totalement extérieures au milieu étudié (équipe de sociologues par exemple), ou bien demander au milieu de faire lui-même l'enquête. Dans la mesure où l'un des enquêteurs est un acteur très impliqué dans le milieu donc à la fois juge et parti, comment croire à une impartialité ?

Sauf à avoir évolué et changé d'avis, Christophe Apprill avait fait une remarquable étude dans laquelle il disait (message de Martine sur le forum http://ecosdelplata.forum-libre.info/viewtopic.php?id=20 Christophe Apprill écrivait il y a une dizaine d'années au moment de sa thèse de sociologie, dans son livre « Le Tango Argentin en France », p128 :
« Le tango guetté par la normalisation : On voit mal comment il pourrait être enseigné aujourd'hui dans les écoles de danse sans que sa richesse et sa singularité en soient affectées. A l'heure actuelle, aucun des danseurs argentins qui enseignent le tango ne possèdent le diplôme de maître à danser détenu par la plupart des professeurs des
écoles de danse....L'encadrement normatif de l'enseignement à travers la création d'un DE ...aurait un impact important sur le réseau d'associations de tango qui est rattaché à la fonction sociale (convivialité, découverte d'une culture) de la danse mais aussi à la spécificité du tango tel qu'il est enseigné. La réglementation de l'enseignement, qui risquerait de se traduire par l'établissement d'un monopole de fait au bénéfice des écoles de danse, imposerait une normalisation de la danse.... »

Il parle aussi + loin du statut hors des cadres institutionnels de cette danse (culture, jeunesse et sport, enseignement), de l'aspect affirmation d'une identité/rébellion par
rapport aux schémas établis, du coté bâtisseurs de réseaux des « précurseurs » du tango en Europe, héritiers du mouvement de mai 68, de la dimension forte du voyage : « de voyage intérieur, le tango est devenu un motif de voyage à l'intérieur d'un réseau convivial et attractif, fluide comme un soupir de bandonéon »...)

Son livre très intéressant parlait de fonctionnement réticulaire du milieu Tango Argentin, et constituait une très bonne radiographie du milieu tango.....

Je crois que l'ambition d'effectuer cette même radiographie sur l'ensemble des danses est un travail considérable et ne peut aboutir qu'au plus petit dénominateur commun, ce qui exclut de fait un diplôme ou une certification nationale !

*3 - Certification* : En ce qui concerne la certification la position consistant à avoir un certificat d'aptitude délivré par des Argentins ne me paraît pas être une bonne solution pour les raisons suivantes :

- Nous (LTDT) faisons régulièrement intervenir des argentins dans les stages que nous organisons. Nous avons souvent demandé à ces enseignants d'indiquer personnellement aux élèves n'ayant pas le niveau requis pour le cours leur véritable niveau, _jamais aucun _argentin n'a voulu émettre cet avis directement aux élèves
concernés.... Les imagine-t-on délivrer un certificat ?

- en outre, cette démarche suppose que les argentins sont les mieux placés en matière pédagogique ce qui est contestable. Comme Sonia l'a dit sur le blog diplôme-tango
« Certains enseignants Japonais, Turc ou Américains sont allés beaucoup plus loin dans les méthodes d'enseignements que la plupart des Argentins, à l'exception de Gustavo Naveira, et de quelques autres..../ » Je rajouterai à la liste des profs Français, Allemands, Hollandais, Espagnols....

- Une certificat d'aptitude délivré par des Argentins ne traduirait qu'un lien de sujétion entre un client et un fournisseur. Imagine-t-on un Argentin refuser ce certificat à l'organisateur d'un festival qui l'emploierait régulièrement ?

*4 - Pédagogie* : Certes je suis conscient qu'il y a de nombreux manques dans la pédagogie, voir l'article que j'avais écrit dans la salida 21 en décembre 2000 (PDF) et qui
est sans doute encore d'actualité, bien que certaines choses se soient améliorées.

Néanmoins pour paraphraser Cyrano « /ces défauts soulignés avec un peu de verve, je ne permettrai pas qu'un autre me les serve »

Et même si je suis conscient des progrès que nous avons à faire, je n'entends pas imposer mes vues à quiconque, et par conséquence, je n'entends pas que l'on m'impose un prêt-à-penser dans le cadre d'un diplôme national ou d'une formation obligatoire.

*5 - Mode d'organisation et comportement *: /« "Le tango n'est ni une philosophie, ni une religion..." Le tango n'est ni plus ni moins qu'une danse et une culture. Personne ne doit se comporter en gourou, ou en messie qu'il faut suivre aveuglément...Tous les professeurs ont quelque chose à apporter, mais personne ne peut se prévaloir de détenir l'unique vérité....". Ricardo Calvo (conférence Prayssac juillet 2001)/ tirés des conseils pour trouver un bon prof sur le site http://tangoparis.free.fr/charte_f.htm.

Non le tango n'est pas sacré, comme il a été dit, par contre il est plus souvent massacré que sacré... Je ne suis pas d'accord avec cette idolâtrie qui confine parfois à la secte et qui ne cache souvent sous un rideau de fumée de langage ésotérique et exalté, qu'une fuite et un refus d'aborder les problèmes concrets (mauvaise pédagogie, para-commercialisme, lutte d'influence...). Tant que l'on aura des comportements serviles, face à l'autorité ou à la renommée (pour exemple : j'ai lu récemment dans un magazine tango, qu'à l'occasion d'un stage d'un dieu du tango, ou du moins, de sa réincarnation terrestre, on demandait des autographes !!! Ce ne sont pas encore des indulgences ou
un certificat d'aptitude mais cela ne saurait tarder !), tant que les associations tango seront plus préoccupées par leurs guerres picrocholines au sein d'une même ville, et il ne faut pas se faire d'illusion, derrière ces querelles, il y a surtout des batailles commerciales, pour un partage du territoire, de prise de pouvoir personnel... à l'instar des structures commerciales que l'on critique tant.... Par contre ces structures commerciales, même si elles sont concurrentes arrivent à défendre leurs intérêts communs au sein de structures fédératives ou syndicales......

Tant que ces comportements perdureront au sein des associations, il sera difficile voire impossible de proposer la constitution d'une fédération...

En attendant, on assiste à des compétions de danse sportive où sont intégrés des championnats du monde de tango argentin.....

Il reste à adopter un mode d'organisation propre à peser sur le Ministère de la Culture. Nous avons comme point de départ une charte du tango argentin élaborée en 1998 et qui me paraît être un socle commun élaboré et partagé par tous. A nous de la faire évoluer....

Espérons que le Ministère de la Culture saura néanmoins accorder une oreille attentive à des formes d'organisation moins structurées et moins bruyantes médiatiquement que les fédérations de danse sportive. Il faut cependant rester optimiste, puisque Christophe Apprill tient compte des critiques en modifiant la façon de faire son enquête !

Voilà, Cher Christian, les points que je voulais développer, et dernier point, tu disais que les tangueros dans les soirées étaient uniquement intéressés par leur propre danse, je ne suis pas d'accord, il suffit de regarder les intermèdes swing, salsa ou chacarera dans les soirées tango, pour voir que la piste est pleine..... Preuve que les tangueros peuvent aussi s'intéresser aux autres danses.

Amitiés,
Pierre Lehagre
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