30. [L-8] Pour le blog diplôme de tango. Merci, par Christian

Je m’appelle Christian Dubar. Je dirige l’Institut de Formation en Danses de Société que j’ai créé à Toulouse il y a quinze ans. J’ai, depuis lors, un numéro de formateur en tant que centre de formation professionnelle. Et en 2003, j’ai obtenu du ministère de la Culture, une reconnaissance de la formation que je propose au titre de la loi de 1988 sur l’enseignement artistique dans le privé.

Uniquement dans le but d’être le plus clair possible afin que toute personne intéressée puisse non seulement comprendre rapidement ce que je veux dire, mais aussi répondre éventuellement de façon constructive à cet écrit, je vais tout de suite présenter mon travail, ma recherche, et mes convictions en matière d’enseignement des « danses régionales ou nationales de France et du monde sur le territoire français ».

Je pratique les danses de société (que certains appellent danses de salon) depuis 34 ans. J’ai fait de la danse sportive pendant 7 ans (j’ai été vice-champion de danse de compétition en 1981). J’enseigne ces danses appelées aussi « danses de couple » depuis 26 ans. Et je forme des enseignants de ces danses depuis 15 ans. J’ai ainsi
rencontré et proposé des bases chorégraphiques, pédagogiques, techniques, musicales, historiques, à plus d’un millier d’enseignants venus me voir de plus de 90 départements français, et quelques-uns de l’étranger. Et cela grâce à un répertoire très vaste de danses françaises et étrangères de toutes formes du XIXe et du XXe.

J’ai écrit un livre (L’invitation à la danse) qui est le texte de mon DEA (La construction du couple dansant), avant de soutenir en 1999 une thèse en Sciences de l’éducation à l’université de Paris VIII (directeur de thèse : Remi Hess, lui-même auteur du livre La Valse (Métaillié, Paris, 1989)). Le sujet de ma thèse était :

« Sport, culture ou éducation ? Le problème de l’enseignement des danses de société en France. ». (Le texte de cette thèse est en vente à l’Institut).

Pardon d’avoir étalé mes titres. Cela n’a qu’un seul but : renseigner précisément le lecteur sur l’origine de mes idées, de mes convictions, mais aussi de mes citations.

J’ai eu l’occasion de rencontrer Christophe Appril, et je suis ravi qu’il ait obtenu du ministère de la Culture mission pour faire un recensement national qui fait défaut depuis bien longtemps. Et en lisant les mails du blog (dont je vous félicite aussi car tout cela me semble passionnant), j’ai pu remarquer que je connaissais pas mal de personnes citées, qui me connaissent donc aussi, et qui sont, pour la plupart, des amis.

Un mot encore sur mes origines : le tango dit argentin a commencé, à Toulouse, en 1990, dans mon studio de l’époque, grâce à des amis aussi : Catherine de Rochas et Henri Vidiella, créateurs, sauf erreur, des associations Tangueando en France, en tout cas à Toulouse. Et j’ai eu aussi la chance de rencontrer de nombreux enseignants du tango qui vous préoccupe aujourd’hui, comme Plume Fontaine, Alain Lehagre et Catherine Charmont, mais aussi Rodolfo Dinzel à Paris, Miguel Gabis, Charlotte Hess, etc. Et je travaille actuellement avec Christine Caminade et Laurent de Chanterac.

Pour ma part, mais ce n’est que ma conviction personnelle, j’ai fondé mes enseignements sur l’ensemble des danses de bal, que ces danses soient anciennes ou actuelles, à la mode ou non, typées ou non, stylisées ou non. J’enseigne donc toutes les danses de bal, de la valse au tango, du rock à la samba, des danses du XIXe à la country
en passant par les danses dites folkloriques et traditionnelles. J’exploite dans chaque danse une capacité différente à se mouvoir en musique, à prendre du plaisir en communiquant avec un partenaire et avec les autres danseurs, à créer sa danse et son style, en passant par tous les genres chorégraphiques. Par exemple : si la valse
apprend la giration à deux, la samba permet de travailler la souplesse et le rapport au sol ; le cha-cha-cha apprend à jouer avec le rythme et l’espace ouvert du couple quand le tango apprend l’ancrage au sol et la position très fermée de « l’embrassement », toutes les danses offrant des possibilités de création et d’improvisation, en lien direct avec la musique et son style.

Et donc, je suis convaincu qu’un enseignant de bal doit être d’abord et avant tout un généraliste, afin d’offrir à ses élèves, non pas UNE danse, UNE pratique, UNE dynamique, UNE façon de penser une danse ou la danse, mais réellement une CULTURE GÉNÉRALE DES DANSES DE BAL basées sur les éléments fondamentaux de la danse : l’espace, le rythme, le poids du corps, la présence de l’autre, le guidage, l’expression, la nuance, l’accentuation, le ressenti… Soit UNE TECHNIQUE GÉNÉRALE DES DANSE DU BAL avant d’aborder une technique spécifique, et encore moins un style.

Le STYLE me semble en effet justement le point à ne pas toucher chez l’élève si on est soucieux de le respecter dans son intimité et sa créativité, de respecter ses ressentis, en espérant que, avec les OUTILS que ses enseignants lui auront fournis, il fera de chaque danse, quelle qu’elle soit, SA DANSE, expression naturelle et pourtant riche, et même pourquoi pas sophistiquée, de ce que Pierre Conté (qui a inventé une méthode d’écriture de la danse) appelait : le vibrato interne. Former un bon bricoleur ne peut pas être : lui apprendre seulement les plus grandes finesses d’utilisation d’une truelle.

C’est pourquoi j’ai toujours cru à une formation de base GÉNÉRALISTE, comme en musique aussi, et je n’ai jamais cru qu’il était intéressant pour devenir un bon danseur ou une bonne danseuse, de ne recevoir qu’un seul enseignement d’une seule danse très typée. Même si elle-même peut être multiple. Et je pourrais développer de nombreux
arguments qui étayeront mon discours sur ce point si quelqu’un m’en fait la demande. Je crois à une formation tout d’abord « généraliste », puis ensuite à une spécialisation, par exemple dans une danse à la mode comme le tango dit argentin. Comme en médecine.

Dans mes « références » (que le lecteur doit connaître aussi afin de bien saisir le fond de ma pensée), sont quelques personnes du ministère de la Culture que je connais depuis près de 20 ans, sans l’avoir jamais fréquenté régulièrement. Mais, j’ai bien connu Monsieur Didier Deschamps, inspecteur responsable à la danse, qui m’a conseillé de demander la reconnaissance ; son successeur : Monsieur Jean-Christophe Paré, qui a instruit mon dossier et l’a fait aboutir. Et bien d’autres personnes dont certaines sont encore aujourd’hui des liens de travail importants.

Je voudrais aussi citer Monsieur Jérôme Lecardeur, qui, en tant qu’inspecteur de la danse, est venu une fois m’inspecter il y a quelques années, à Toulouse. Ce monsieur m’avait alors expliqué le souci qu’il avait : « J’ai rencontré des danseurs traditionnels bretons qui demandent une reconnaissance. Et j’ai aussi rencontré des danseurs traditionnels basques qui souhaitent la même chose pour leur groupement. Il appartient à ces groupes différents de se relier, car le ministère ne pourra en aucun cas prendre en considération tous ces groupements de façon séparée. Par contre, le ministère a bien le souci d’aider « les danseurs traditionnels » en général. Il faut donc qu’ils se regroupent. » Et il a alors cautionné mon initiative de formation.

De la même façon, il y a trois ans, Monsieur Jean-Christophe Paré, inspecteur de la danse, m’a demandé de créer une fédération et de fédérer les personnes qui voulaient bien se regrouper autour de l’Institut, qui venait d’obtenir une reconnaissance officielle, la seule existant, à ma connaissance, en la matière. Ce que je suis en train de faire, lentement. Car il n’est pas facile de faire un recensement national qui incomberait, à mon humble avis, plus à une institution comme notre ministère de la Culture, qu’à un groupement isolé, quel qu’il soit. Car, pour ce faire, il faut d’importants moyens, par exemple financiers.

De la même façon, et bien que je n’aie pas le droit d’en faire publicité, il faut savoir que cette reconnaissance ouvre droit à la demande de reconnaissance du diplôme privé que je diffuse depuis 14 ans, ce qui veut dire : fournir trois référentiels du métier, et demander l’inscription définitive du métier de professeur de danse de société à la CNCP (Centre national de la certification professionnelle). Dossier sur lequel je travaille depuis plusieurs années.

Ma conviction est donc la suivante : les enseignants du tango appelé « argentin », de par leur choix de cette terminologie, se classent d’eux-mêmes, en toute logique, comme sous-ensemble des enseignants de tango (comme les enseignants de salsa « cubaine » s’auto-classent dans un ensemble plus vaste : les enseignants de salsa). Les enseignants de tango se classent aussi eux-mêmes, et à mon avis, comme sous-ensemble des enseignements de danse de bal, puisque le tango, même argentin, n’est qu’une composante des danses du bal. Et ces enseignants de danse de bal sont à nouveau un sous-ensemble des enseignants de danse, eux-mêmes sous ensemble des enseignants.

J’ai déduit de cette façon de penser le fait que la pédagogie, par exemple, des danses de bal a forcément quelque chose à voir avec l‘enseignement de la danse en général. Et que l’enseignement du tango dit argentin a forcément à voir avec l’enseignement du tango en général. Sauf que, dans ce cas précis, je suis tout à fait d’accord pour dire que, après plusieurs années de codification (dont nous connaissons aujourd’hui de nombreuses raisons), la FAÇON d’enseigner le tango a perdu en fin de XXe siècle toute crédibilité, toute valeur et tout intérêt ; et que c’est une chance que soient apparues de nouvelles FAÇONS d’enseigner le tango. En effet, je ne vois pas de renouvellement de la danse, mais plutôt un renouvellement de sa conception et surtout de son enseignement.

En conséquence de quoi, si j’ai l’espoir que notre ministère concerné s’intéresse un jour vraiment au cas des « danses régionales ou nationales de France et du monde sur le territoire français », pour ne pas dire les danses de société telles que j’ai modestement tenté de les définir dans ma thèse, dans le dessin soit de les connaître, soit de les normaliser, soit de les défendre, soit de protéger le public, etc., j’ai l’intime conviction qu’il ne le fera jamais pour une danse comme le tango, et encore moins pour le tango dit argentin, comme il ne le fera jamais pour la salsa et encore moins pour la Cubaine, et idem pour le lindy-hop.

C’est pour cela que, si certains souhaitent réfléchir, discuter, proposer, envisager un avenir réel de ce formidable métier qui est celui de professeur de danse de société (ou de bal ou toute autre terminologie), il me semble nécessaire qu’ils se regroupent et comptent plus sur l’union, que sur la division.

A ce propos, et je terminerai momentanément sur ce point, je suis un peu choqué de lire déjà sur votre blog (seuls les auteurs des écrits
en sont responsables, évidemment), des attaques personnelles, des sous-entendus désagréables, des critiques hors sujet, ou injustifiées, ou inutiles au débat ; des colères, des accusations, dans un style trop souvent « télégraphique » qui relève plus du discours parlé « brut » quand il n’est pas brutal, que d’une véritable discussion professionnelle de qualité.

Pour échanger avec réel intérêt, et il y en a bien un là, le premier principe à observer me semble être celui du respect de l’autre. Le deuxième doit être, me semble-t-il, après avoir été capable d’écouter l’autre calmement, d’exprimer calmement une pensée réfléchie, débarrassant ses écrits de toute connotation affective, même si les convictions doivent être respectables et respectées.

Je me permets d’écrire cela parce que cela fait 34 ans que je danse, et 34 ans que je vois la profession se déchirer à la moindre alerte. Et aussi 34 ans que j’en ai vu et entendu de toutes sortes : l’un annonçant l’arrivée imminente d’un BE (sports), l’autre d’un DE (culture) prochain, comme si chaque fois une épée de Damoclès était
pendue au-dessus de nos têtes. J’ai été rebelle à ces conquêtes de pouvoir, qui n’ont, d’ailleurs, jamais abouti ; et c’est mon Institut, bizarrement, qui a obtenu assez facilement la seule reconnaissance existante pour les danses de société. Probablement parce que je ne me suis jamais présenté en commençant par frapper du
poing sur la table.

Une dernière remarque qui me vient à l’esprit après relecture : je me permets de vous conseiller de bien faire la différence entre deux sujets :
1 — la création d’un diplôme assurant un genre de label du ministère aux personnes le méritant ;
2 — la création d’un diplôme OBLIGATOIRE qui serait hégémonique.

Je peux attester du fait que de très grands ténors de cette profession d’enseignants de danse de société ont, et depuis des décennies, rêvé d’obtenir d’un ministère (quand ce n’était pas la Culture, c’était le Sport), non seulement une reconnaissance, mais surtout un diplôme OBLIGATOIRE qu’ils souhaitaient imposer à tout le pays. Compte tenu des difficultés que la mise en place du DE de classique, jazz et contemporain a fait apparaître, je ne pense pas qu’il faille rêver que notre ministère entre à nouveau dans un tel
système de « DE » OBLIGATOIRE (et tant mieux !). A mon humble avis, il faut viser une reconnaissance et une ouverture du métier, et non une fermeture. Et je suis certain qu’alors beaucoup de gens pourront alors se retrouver, et en bien plus grand nombre.

Navré par la longueur de ce texte, je vous remercie de me lire et je vous renouvelle mes félicitations pour tout ce travail. Je reste à votre disposition pour une discussion ouverte et respectueuse. Pardon d’avoir parlé à la première personne : c’était pour un confort d’écriture et pour plus de simplicité, car évidemment, je ne suis pas
seul à mener cette barque.

Très amicalement. Christian Dubar

N.B. : Je n’ai jamais reçu le questionnaire de Christophe Appril. Il m’intéresse évidemment, et je souhaite le lire au moins. Et je dois avouer que je suis surpris, sans être le moins du monde vexé, que le ministère de la Culture ne m’ait pas lui-même informé de cette initiative très intéressante (je vais évidemment lui expédier copie de ce texte, pour information). Je ne l’ai appris que par l’intermédiaire d’un élève qui adore le tango lui aussi. Donc, vive le tango et merci à lui !

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