[L-27] Il faut vivre avec son temps, réponse à Sonia par Benoit

Bonjour à tous,

Roboratifs les appels à l'action !

Je ne suis pas très vieux dans le circuit du tango argentin (6 ans), mais j'ai connu une autre vie associative par le passé et je retrouve avec 10 ans de décalage des interrogations qui se ressemblent fort qui mèlent à la fois une certaine vision de notre activité, une transition douloureuse entre un monde façonné par l'associatif vers un mode de relations plus commerçantes, le tout chapeauté plus ou moins par une administration avec sa propre logique.

La vision du tango qui transpire des différentes contributions déjà déposées sur le blog - qui représentent plus de 60 pages au 5 avril 2008 - est concordante: le tango dont nous parlons est le tango argentin, celui qu'on danse en bal et pour les chanceux à Buenos Aires. Les liens donnés par Sonia (voir son mail du 7 avril) ne correspondent pas à ce tango-là. A partir de cette simple description de notre activité exprimée dans le blog, chacun peut la vivre plus ou moins intensément avec des mots qui peuvent paraître
naïfs ou rêveurs devant les magnifiques publicités à danser. Qu'importe, l'important est de se retrouver sur une piste de danse sans numéro dans le dos, et de pouvoir danser des heures sans penser à la note ou au passage à TF1, peut-être que cette remarque contribuera à diminuer le blues de Sonia.

Quant à agir sans réflechir, pourquoi pas ? J'ai eu appris à la faire à l'armée, ça évite d'avoir peur de se faire tuer, mais il faut dire que ce n'est pas trop le genre de méthodes de travail aux endroits où il y a des enjeux et là, j'ai l'impression qu'il y en a, qui ne sont ni un combat d'arrière-garde ni, je l'espère, des péripéties du monde associatif. Sonia a raison de signaler que nous sommes peut-être à l'aube d'une mutation sur au moins 2 points:

- "le tango argentin est-il en train de s'extraire du ghetto associatif ?"
(j'exagère un peu et je m'excuse d'avance auprès de ceux qui pourraient être choqués),

- le sujet de blog (qui porte sur la notion de diplôme de prof de tango) avec la question piège de la légitimité "qui est apte à désigner untel ou untel comme pouvant enseigner le tango ?" L'état, via l'administration avec sa propre logique ? Les associations avec chacune leur propre logique ?, tout un chacun avec chacun sa propre logique ? Ceux qui savent danser parce qu'ils savent danser ? Ceux qui savent pas danser parce qu'ils sont les plus nombreux (j'ai vu passer des appels à la démocratie...) ? Nous-même parce qu'on a lancé ce blog ?

Dans les deux cas, ces questions se posent pour une raison commune, me semble-t-il: la création d'un marché qui commence à ressembler à quelque chose, là-aussi le mot peut choquer mais il peut servir à comprendre ce qui se passe. Il peut servir également à trouver comment évoluer si on accepte de reflechir.

Dans le sujet du diplôme, la contrainte est de ne pas casser ce qui marche déjà, pas pour protéger tels ou tels intérêts, mais parce que jusqu'à présent ce système informel s'est adapté en permanence et que le résultat n'est pas si mal que ça: chacun peut danser avec chacune dans tous les coins de la planète tango, les pionniers ont plus que réussi sur ce plan-là, même s'ils n'ont pas pris la peine de courir les ministères.

En fait, la formation tango est déjà évaluée: Le bal tango est notre propre jury, c'est lui qui nous indique si on "est dedans". Le système de formation est donc globalement orienté pour cet objectif, même si chaque prof ne veut pas le savoir ou plus grave, s'il ne le sait pas. Introduire un système de certification/diplôme risque de réduire le rôle du bal à néant si l'on n'y prend pas garde, du coup le tango ne sera forcément plus le même et retombera à terme au niveau des magnifiques publicités à danser qui donnent
tant le blues.

Une autre caractéristique du tango, au moins celui que j'ai rencontré ces dernières années, est qu'il correspond aussi à une fonction artistique en ce sens qu'il permet d'exprimer ses émotions avec son corps et ses mouvements: c'est de la danse, pas de la gymnastique ou de la rééducation psycho-motrice. Rien que de très banal que j'ai mis des années à comprendre et à ressentir grâce au bal encore une fois et aux différents intervenants que j'ai eu la chance de rencontrer. Même ceux qui sont tellement ringards au regard des magnifiques publicité à danser, qu'ils sont morts insistent tous là-dessus: "si vous n'avez rien à exprimer, ne dansez pas le tango", et un simple coup d'oeil sur leur vie indique que ce ne sont pas franchement des intellectuels, mais ils vivent leur tango, pourquoi se priver de leur expérience ?

Le tango de bal est donc une expression artistique que d'autres ont bien mieux décrit que moi (ex. Robert(blog, 21 février), mail privé de Michel et Sabina (Fevrier)) et qui en plus est à la portée de tous. A part le show et la compétition, existe-t-il un autre tango que le tango de bal ? Pour l'instant je n'en ai pas l'impression, après plus de 150 ans d'évolution, la probabilité qu'il en apparaisse une nouvelle forme est assez faible, sauf à considérer le tango virtuel ( YASD pour Yet Another System to Dance, référence http://www.yasd.fr/ citée par Sonia) comme une évolution.

Introduire un système de diplôme là-dedans est tout de même assez proche de jouer avec le feu, mais gardons confiance,

Bonne journée à tous,

Benoit de Gentile
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